Verdun, une bataille symbolique

Publié le par romano_33

Il y a 90 ans, Français et Allemands se livraient une longue et sanglante bataille à Verdun.

Pour LCI.fr, l'historien François Cochet décrypte les enjeux de ces "300 jours et 300 nuits" de combats.


François Cochet est professeur d'Histoire à l'Université de Metz et spécialiste de la première guerre mondiale. Auteur de nombreux ouvrages sur le sujet, il est également à l'origine d'un colloque international sur cette bataille symbolique dont il explique à LCI.fr les enjeux et le formidable impact (1).

Pourquoi la bataille de Verdun est-elle si emblématique de la première guerre mondiale ?

François Cochet : Elle est emblématique pour les Français. Pour les Allemands, les Anglais et les Canadiens, le symbole de la première guerre mondiale, c'est la bataille de la Somme. La bataille de Verdun est emblématique aux yeux des Français pour de nombreuses raisons. D'abord, parce que ce sont des batailles successives et juxtaposées pendant 300 jours et 300 nuits. Les généraux français ont mis sur pied un système de tourniquet : les unités restent en ligne pendant 10 à 15 jours puis sont relevées. La quasi totalité de l'armée française est ainsi passée par Verdun — les Allemands, eux, ne remplaçaient leurs unités que lorsqu'elles étaient complètement usées. Cette bataille concerne par conséquent un nombre absolument considérable de familles françaises.

Elle s'inscrit également dans un passé : Valmy n'est pas très loin. Cette bataille avait permis l'arrêt des armées étrangères en 1792, avant la proclamation de la République. Verdun est également une des dernières villes évacuées par les Prussiens en 1873. Autre dimension symbolique : la voie sacrée, ce mince cordon ombilical qui permet le ravitaillement de Verdun en hommes, nourriture et matériels. A Verdun, contrairement à la Somme, l'armée française est seule face aux Allemands ; elle est aussi en situation défensive. Les Français perçoivent qu'ils ont pour eux la légitimité du bon droit. Tout ceci fait que dès 1916, cette bataille devient emblématique : après la guerre, les premières commémorations y seront organisées spontanément par les premières amicales régimentaires.

Dans l'imaginaire collectif, Verdun représente toute la folie et l'absurdité du conflit, où les combats deviennent des "boucheries". Cette image correspond-elle à la réalité ?

 
"Plus de 10 millions d'obus
tirés à Verdun"
F. C. : En tant qu'historien, il faut remettre en permanence les événements dans leur contexte. Cette poussée du paroxysme est en germe dès 1915. A partir du moment où le front devient fixe, les états-majors se rendent compte qu'il n'y a plus de possibilités pour percer les lignes ennemies. La seule solution, c'est l'artillerie, c'est-à-dire la puissance industrielle. Les Allemands ont préparé leur coup pendant un an. A Verdun, les deux camps ont tiré plus de 10 millions d'obus sur un front de 8 km de profondeur et 20 km de largeur.

Le 21 février [au début de la bataille, NDLR], les unités françaises en première ligne sont littéralement tronçonnées sous le feu. Il n'y a plus de système de tranchées ; les pertes sont importantes. Paradoxalement, jusqu'à la première quinzaine de mars, le moral des soldats français est bon alors que la situation est catastrophique. C'est après, lorsque la situation s'améliorera qu'apparaîtront les premiers cas d'insubordination.

Combien y a-t-il eu de victimes ?

F. C. : 169.000 pertes du côté français et 143.000 du côté allemand. Le terme de pertes désigne autant les morts que les disparus car, avec de tels bombardements, beaucoup de corps n'ont pas été retrouvés. Pourtant, Verdun a été une bataille moins meurtrière que celles de la Somme ou du Chemin des Dames, qui ont duré moins longtemps. N'empêche qu'elle a frappé les esprits.

Quel a été l'impact de la victoire française à Verdun sur la suite du conflit ?

F. C. : Le moral a été rehaussé mais les pertes sont telles que l'armée française est vidée. La preuve en est qu'elle ne peut plus lancer seule de grandes offensives, c'est-à-dire sans les alliés de l'Empire britannique, alors que jusqu'à Verdun, l'armée française fournit l'effort principal.

Verdun, c'est aussi le lieu symbolique de la réconciliation franco-allemande lorsque François Mitterrand et Helmut Kohl se tiennent la main devant les tombes des soldats, le 22 septembre 1984...

F. C. : Ce geste s'inscrit dans une continuité. En 1936, pour le 20e anniversaire de la bataille, se déroule une première cérémonie franco-allemande, instrumentalisée par le régime nazi qui veut prouver son pacifisme. En 1966, pour le 50e anniversaire, la cérémonie est extrêmement importante car il y a encore beaucoup de survivants. De Gaulle, alors président de la République et qui a combattu à Verdun, lance l'idée d'un Centre mondial de la paix. Lequel verra le jour en 1993. Cette main dans la main a donc été effectuée en 1984 à la suite d'un long processus mémoriel.

(1) François Cochet a notamment écrit 1916-2006, Verdun sous le regard du monde, actes du colloque des 23 et 24 février 2006 (ouvrage collectif) ainsi que Survivre au front 1914-1918, les poilus entre contrainte et consentement, tous deux publiés par 14-18 Editions.

 

Propos recueillis par Matthieu DURAND de lci.fr.....

Publié dans Souvenirs- hommages

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article